Marie-Madeleine, maîtresse spirituelle ?

Marie-Madeleine, maîtresse spirituelle ?

Marie-Madeleine était-elle une maîtresse spirituelle ? C’est la question que se pose la revue d’histoire Codex dans son prochain numéro, à travers ce qu’en disent les évangiles apocryphes, et que nous vous livrons ici en exclusivité !

Les évangiles apocryphes, du grec ἀπόκρυφος / apókryphos, « caché », écrit « dont l’authenticité n’est pas établie »(1), parlent de cette Mariham qui suivait Jésus. Que disent-ils ? Plusieurs textes lui accordent un rôle de premier plan. Ils s’inscrivent dans une perspective mystique et non pas d’abord historique.

En 2003, le Da Vinci Code de Dan Brown a signalé à l’attention du grand public l’Évangile selon Marie ainsi que l’Évangile selon Philippe. Ces apocryphes ont inspiré le romancier américain qui a élaboré l’intrigue de son thriller autour d’une révélation fracassante : Marie-Madeleine, tel le saint Graal, ce calice légendaire des légendes médiévales, aurait recueilli en elle le sang de Jésus, c’est-à-dire sa descendance, puisqu’elle était son épouse. L’idée n’est pas nouvelle. L’Évangile selon Philippe fait explicitement référence à Marie-Madeleine et la présente comme la compagne du Sauveur, tandis que l’Évangile selon Marie l’appelle simplement Mariham, sans plus de précision. Les deux textes témoignent de l’amour particulier que Jésus lui portait.

Cependant, leur vision apparaît spirituelle et non pas historicisante, comme celle de Dan Brown.
L’Évangile selon Marie est le premier écrit du codex de Berlin 8502 qui en comporte trois autres apparentés à ceux de la bibliothèque de Nag Hammadi. Cet ensemble de papyrus, conservé au département d’égyptologie des musées nationaux de Berlin, proviendrait d’Achmim, en Égypte, ou de ses environs. Il reste lacunaire puisque les pages 1 à 6 manquent ainsi que les pages 11 à 14. Le texte copte est une traduction du grec et date du IIIe ou du IVe siècle. L’original grec pourrait remonter au IIe siècle.

En dehors de cette version copte, il existe deux fragments grecs de cet évangile, provenant d’Oxyrhynque (Egypte). Ils présentent des divergences avec le texte copte, ce qui montre que l’Évangile selon Marie a été remanié plusieurs fois. Dans la première partie conservée du texte, le Sauveur répond à ses disciples et leur transmet sa révélation. Il prononce ensuite une dernière exhortation et les quitte (7,1-9,5).

Les disciples se montrent affligés et irrésolus. C’est alors que Marie intervient. Elle leur fait une révélation succincte et, par ses paroles,« convertit leur coeur au Bien » (9, 20s.). Pierre demande à Marie de leur rapporter d’autres paroles du Sauveur qu’eux, les disciples, n’auraient pas entendues. La réponse de Marie est un discours de révélation, discours qui est déterminé par une vision du Seigneur (10,7-17,9). L’enseignement produit cette fois une réaction violente de la part d’André et de son frère Pierre. Marie se met à pleurer et Lévi intervient pour réprimander Pierre et témoigner de la préférence que le Seigneur accordait à Marie. Il invite enfin les disciples à proclamer l’Évangile. En conclusion, ils se mettent en route pour prêcher (17,10-19,2).

Marie se montre présente dans d’autres textes, notamment plusieurs écrits de la bibliothèque de Nag Hammadi : l’Évangile selon Thomas, le Dialogue du Sauveur, l’Évangile selon Philippe et la Sagesse de Jésus-Christ. Elle apparaît également dans la Pistis Sophia, un traité contenu dans le codex Askew, conservé à la British Library de Londres, où est affirmée la supériorité de Madeleine et de Jean sur les autres disciples.

Apparition de Jésus à Marie-Madeleine

L’apparition de Jésus à Marie-Madeleine, racontée par Jean, devient une révélation dans l’Évangile de Marie. Icône crétoise, vers 1500.

Les textes gnostiques (2) qui voient en Marie la conjointe du Seigneur ne sont pas les seuls au sein du monde chrétien, mais cette idée suscitera une longue tradition. Celle-ci prend sa source dans l’Évangile de Jean, avec ce passage où Madeleine apparaît au pied de la croix (Jn 19,25), puis avec l’épisode de la Résurrection (Jn 20). Dès le début du christianisme, ce récit de rencontre a été interprété à la lumière du Cantique des Cantiques, qui raconte la recherche par une femme de celui qui deviendra son conjoint, puis la rencontre entre l’époux et l’épouse.

L’Évangile selon Marie présente ainsi l’union spirituelle : « C’est à l’intérieur de vous qu’est le Fils de l’Homme. Suivez-le. Ceux qui le chercheront le trouveront » (8,18-20). Puis, à la fin du texte, Lévi proposeaux autres disciples de prendre exemple sur Marie : « Revêtons-nous de l’Homme parfait, engendrons-le en nous » (18,16-17).

Le Fils de l’Homme est le Christ qu’il faut retrouver en soi. Marie symbolise le lien qui unit les croyants au Sauveur. C’est alors qu’ils parviendront à l’état d’Homme parfait, à la stature du Christ dans sa plénitude, ainsi que l’avait dit saint Paul (Éph 4,13). Usant d’un langage poétique ou mythologique, le texte fait appel au symbolisme du masculin et du féminin. Selon la Genèse (1,26-27), l’être humain créé à l’image et à la ressemblance de Dieu est homme et femme. Ce qui signifie que Dieu, lorsqu’il se révèle à travers sa ressemblance, le fait sous un double aspect. Or, dans le christianisme, la véritable image de Dieu est d’ abord le Fils ; c’est donc lui qui représente la part masculine. La partie féminine est notre humanité spirituelle. Séparée du Sauveur, elle le cherche et attend sa venue ; elle est représentée par Marie-Madeleine décrite comme sa conjointe.

Chacun doit enfanter en soi le Christ et  son royaume. Le logion (dans la Grèce antique, une parole d’inspiration divine ou sacrée) 114 de l’Évangile selon Thomas, d’inspiration gnostique, effectue également une transposition spirituelle des termes du masculin et du féminin. Dans la mesure où Jésus l’attire à lui, Marie deviendra un Esprit vivant. L’épithète « vivant » est une allusion à Ève (Genèse 3,20). La Bible interprète le nom hébreu d’Ève (Hawwa) par le verbe hawa, « vivre », et le traduit en grec par le nom de Zoé, la « vie ». Autrement dit, en s’unissant au Sauveur, mâle, Marie se manifeste comme une Ève spirituelle. Elle montre la voie. Paradoxalement, c’est le fait de devenir « mâle » qui permet la pleine manifestation de la femme. Selon cette métaphore, chacun porte en lui le masculin et le féminin. Le choix d’un disciple féminin n’est pas dû au hasard. Au-delà de l’histoire ou de la réalité extérieure, on a vu en Marie-Madeleine un symbole de salut universel. Cette fonction prophétique se double d’un aspect polémique.

À cause de la grande diversité du christianisme ancien, chaque groupe de chrétiens se réclamait d’un disciple ou d’un apôtre susceptible de représenter la forme de christianisme qui était la sienne. Dans l’Évangile selon Marie, cette réprimande de Lévi en témoigne : « Pierre, depuis toujours tu es un tempérament bouillant, je te vois maintenant argumenter contre la femme comme si elle était un adversaire. Pourtant, si le Sauveur l’a rendue digne, qui es-tu, toi, pour la rejeter ? Sans aucun doute (…) il l’a aimée plus que nous » (18,6-15). La même idée revient dans l’Évangile selon Philippe où les autres disciples, inquiets, demandent au Sauveur : « Pourquoi l’aimes-tu plus que nous ? » (63,32-64,2).

Deux autres textes apocryphes racontent la jalousie de Pierre à l’égard de Marie, l’Évangile selon Thomas (logion 114) et la Pistis Sophia. Ce dernier montre l’hostilité de l’apôtre envers cette femme qui, dit-il, « nous enlève la place en ne laissant parler aucun de nous, mais qui parle une foule de fois ». Or, à Pierre, Jésus répond : « Celui en qui la puissance de son Esprit bouillonnera pour lui faire comprendre ce que je dis, que celui-là s’avance et qu’il parle » (36).

Cette polémique est significative. Ces textes ne reproduisent pas, bien entendu, une opposition réelle entre Pierre et Marie-Madeleine, mais reflètent une situation historique propre aux IIe et IIIe siècles. Par le biais des personnages, ce sont ici deux groupes de chrétiens ou deux types de christianisme qui s’affrontent.

Les écrits gnostiques où Marie est présente insistent par exemple sur le rôle de l’Esprit. Cette opposition reflète l’état non uniforme du christianisme à cette époque. En plaçant Marie face au plus connu des douze, la communauté représentée dans ces textes se situe symboliquement elle même face aux Églises qui font de Pierre leur champion, c’est-à-dire probablement les Églises reliées entre elles par une structure d’épiscopat et de presbytérat en croissance. Pierre symbolise peut-être aussi une Église en train d’organiser un ministère masculin et qui trouve gênant le rôle des femmes dans les mouvements prophétiques. Pourtant, l’Évangile selon Marie se termine sur un appel à l’unité, les disciples prenant tous  ensemble la route pour annoncer la Bonne nouvelle. C’est peut-être une des raisons qui explique la présence de l’Acte de Pierre, en conclusion du codex de Berlin.

Le fait de reconnaître le caractère fictif ou anachronique d’un écrit ne signifie pas qu’il ne possède aucun ancrage historique. L’Évangile selon Marie reflète une réalité historique, non pas celle de Pierre ou de Marie mais plutôt celle du christianisme contemporain de son auteur ou du milieu chrétien qui se trouve à la base du texte. L’intérêt de l’étude des apocryphes est donc de nous ouvrir aux particularités d’autres traditions chrétiennes.

(*) Par Anne Pasquier, professeur de littérature chrétienne ancienne à la faculté de théologie et de sciences religieuses de Laval (Québec)

(1) Définition du Littré (2) Gnose : philosophie religieuse selon laquelle le salut de l’âme passe par une connaissance directe de la divinité, et donc par une connaissance de soi.

 

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